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Chroniques
Mikhaïl Glinka
Руслан и Людмила | Rouslan et Lioudmila
Sensible au goût européen durant sa période de formation, Mikhaïl Glinka (1804-1857) devient pourtant le fondateur de l’école russe, précurseur du Groupe des Cinq. Il est l’ami d’Alexandre Pouchkine (1799-1837), autre artiste à lutter contre l’influence étrangère, certes inspiré par les modèles de l’Ouest mais jamais en suiveur. Son style classique est au service de personnages tourmentés qui vont marquer des musiciens nés après son fatal duel près de la rivière Tchernaïa : Modeste Moussorgski (Boris Godounov, créé dans sa seconde version en 1874), Tchaïkovski (Eugène Onéguine, 1879 ; La dame de pique, 1890) et Nikolaï Rimski-Korsakov (Le conte du tsar Saltan, 1900).
Après Une vie pour le tsar (1836), Glinka s’attelle à mettre en musique Rouslan et Lioudmila, un conte de jeunesse de l’auteur des Tsiganes [lire notre chronique du DVD]. On y suit la quête initiatique d’un chevalier parti au secours de sa fiancée, enlevée par une puissance maléfique le jour des noces. Un couple de sorciers, Finn et Naïna, interfère pour résoudre un conflit intime autour de l’existence de l’amour. Plusieurs adaptateurs participent au livret (Gedeonov, Markevitch, Koukolnik, etc.) en vue d’un ouvrage en cinq actes présenté à Saint-Pétersbourg le 9 décembre 1842, au Grand théâtre impérial Kamenny.
En novembre 2011, l’inégal Dmitri Tcherniakov modernise ce trésor national dans le Théâtre Bolchoï de Moscou tout juste rénové (six ans de travaux !), livrant une version convaincante et rythmée. On aime son banquet qui sent la mascarade sous un plafond bleu-turquoise qui rappelle la façade d’une maison de Pouchkine, sa sombre vison d’un champ funèbre où une Tête filmée et asynchrone remplit sa fonction fantastique, le salon des femmes-enfants qui cernent nos héros d’une aura ludique et sensuelle, ainsi que les serviteurs-automates de l’invisible Tchernomor, employés à vaincre les résistances de leur prisonnière.
Nous qui avons ri et frémi avec les protagonistes, loin de la psychologie de bazar souvent servie par Tcherniakov, comment réagir au scandale qui accompagna cette production – plaintes et huées d’un public déstabilisé par un décalage inoffensif ? Qu’on rappelle juste à ceux qui furent choqués par la peau nue aperçue ici et là que, chez Pouchkine, Rouslan voit disparaître son aimée non pas à table mais entre les draps, à l’heure de calmer un désir qui mobilise toute sa pensée – ou comment apprendre à un jeune homme à distinguer affection et pulsion.
Porté par la direction leste de Vladimir Jurowski en fosse avec un orchestre maison d’une couleur spécifique, le couple-vedette a les traits d’Albina Chaguimouratova, soprano d’une agilité incroyable [lire notre chronique du 25 juillet 2016], et de Mikhaïl Petrenko , basse évidente aux nuances exemplaires. On aime aussi le couple Gorislava et Ratmir, formé par l’expressive Alexandrina Pendatchanska et Youri Minenko, haute-contre puissant et délicat [lire notre chronique du 15 avril 2016]. Le troisième couple est incarné par l’efficace Elena Zaremba (Naïna) et Charles Workman (Finn), souvent pris en faute récemment mais qui ravit ici par la clarté et la vaillance. Les sonores Almas Svilpa (Farlaf), Vladimir Ognovenko (Svetosar) et Alexandre Polkovnikov (La Tête) complètent cette formidable distribution. Une féerie à mettre sous le sapin !
LB